Essais

KTM 690 sm

Par Jolitorax

[Essai]Kanard à l'orange... C'est du brutal

Prenez un trail gromono, laissez le mariner quelques temps dans l'atelier d'un styliste aux goûts... spéciaux, ajoutez y un gromono généreusement gavé de watts, réservez le confort pour un autre usage, arrosez copieusement de sportivité, un zeste d'orange et servez chaud bouillant. Attention, c'est plutôt du brutal !

Ce matin, tel Perceval, j'avais donc décidé de poursuivre ma quête du Graal motocycliste. Pour ceux qui n'auraient pas suivi les épisodes précédents, je rappelle que ma timbale prend la forme d' une brèle avec des watts, mais pas trop, agile et légère, avec une putain de tenue de route, surtout quand la nature reprend peu à peu ses droits sur le bitume, imprimant en relief la moindre ondulation de terrain sur l'asphalte déformé. Et surtout facile à emmener, tout le temps et par tous les temps !

Rendez vous était donc pris chez le revendeur de motos orange, qui avait à l'essai un croisement entre un canard et un origami.

http://www.ktm.ro/files/690sm_orange_big.jpg

Après avoir signé les papiers d'usage et entendu les remarques non moins classiques; "Gaffe au frein avant" et "Attention, ça pousse fort", me voilà seul à seul avec la Chose. Je vais enfin pouvoir m'essayer au domptage de Kanard.

Dire que la selle est haute, c'est un peu comme enfoncer une porte ouverte. Du bas de mon mètre soixante neuf, j'ai la pointe des pieds qui touche. Des années de gros trails m'ont habitué à faire des pointes, me permettant d'envisager sereinement une reconversion dans un ballet.

Une fois perché, la position est agréable, légèrement basculé sur l'avant, les commandes sont idéalement placées. J'ai pas encore mis le contact que j'ai déjà mal au cul, ça doit sans doute venir du truc noir vaguement souple que la notice désigne comme étant la selle. C'est une première chez KTM, t'as mal au cul d'abord et t'as le coup de pied au cul ensuite, sont trop fort ces autrichiens !

Étant motard donc par définition pas bien fute fute, Monsieur KTM a pensé à moi. j'ai une vue directe sur un compte tour bien lisible et à droite écrit gros la vitesse. Ensuite y'a des barres et des barres à coté des barres, j'ai absolument pas compris ce que ça pouvait bien
être, température ou jauge d'essence, mais certainement pas un truc bien utile en tout cas, vu que c'est pas écrit en gros. Je rassure les moins intellectuels d'entre nous, y'a aussi une poignée de voyants, dont un avec une pompe à essence. Ouf !

Contact et premiers tours de roues. Il sort un son normal des pots d'échappement. Bon, un son normal c'est un concept purement personnel: Pas trop fort, pas l'espèce de bruit de pompe industrielle de la Multistrada 620, rien qui ne soit marquant en bien ou en mal et c'est plutôt bien (que ça soit ni bien ni mal). Vous avez compris ou je réexplique ?

Dans un superbe costume de cuir passablement élimé, me voici propulsé au rang de dompteur de Kanard et en ville, c'est pas une mince affaire. Ce bougre d'animal n'en fait qu'à sa tête. En dessous de 3 000 tours le moteur cogne, la première hyper courte et la poignée de gaz très très
réactive, donne une allure cahotante à l'équipage. Seul le rétro gauche est vaguement utilisable, le droit à été cassé par l'un des précédent essayeur, preuve s'il en est qu'il s'agit bien d'un Kanard sauvage. Va falloir reprendre le dessus, parce que pour l'instant il fait ce qu'il veut et moi ce que je peux.

Heureusement quelques kilomètres sur la rocade vont me permettre de prendre un peu mieux contact avec le volatile récalcitrant. Première constatation, je sens le moindre raccord de bitume. Amortissement sport qu'ils écrivent dans les magazines, pour la montagne et son bitume
défoncé, ça promet. Par contre, une fois passé la jolie boite à image qui vous envoie parfois, moyennant une somme modique une superbe photo de votre plaque d'immatriculation avec en fond la chaîne de Belledonne,
j'ouvre un peu les gaz. Oh Put......ain, c'est un mono ça ???? Pourtant je suis venu en gromono aussi, mais du haut de la 690, vingt ans de gromono nous séparent et je peux vous dire qu'en vingt ans ils ont pas chômé, les docteurs es Gromonoscopie. Pas de vibrations ou presque, une prise de tours hyper rapide, un couple impressionnant, c'est du brutal assurément !

Me voici arrivé dans les villages. Au ralenti, pour des évolutions serrées la katoche est chiante, la première courte que l'on doit maintenir au delà de 3 à 4000 tours pour éviter les cognements, fait prendre trop de vitesse, le tirage de la poignée trop rapide est difficile à doser. Je coupe les gaz et le frein moteur me rappelle à l'ordre en me jetant sur l'avant. Un essai à l'embrayage achève de me convaincre que c'est pas la bonne solution non plus.
Comment ça marche ce truc ???

Les premières évolutions un peu plus rapides sur des petites routes bosselées me réservent enfin une bonne surprise; l'amortissement est ferme certes, mais il gomme pas trop mal les imperfections de la chaussée. J'attaque enfin la montée vers un joli col. Le bitume est passablement défoncé et là je vais lui expliquer qui est le patron à cet espèce de volatile mal embouché.

Je vous ai pas causé des freins ? ben faudrait ! J'ai pas connu de Polonaise qu'en prenait au petit déjeuner, mais n'empêche, c'est du brutal aussi ! Faut dire que le Brembo radial 4 pistons à l'avant, c'est assez impressionnant, surtout pour arrêter les 160 kg de la Katoche. En plus pour les plus inquiets d'entre nous, y'a aussi un frein arrière, puissant et progressif. Avec ça j'aurais vraiment plus aucune excuses pour aller embrasser les bottes de pailles ;-)

Pause en haut du col, et hélas, j'ai toujours pas compris le mode d'emploi. Je n'arrive pas à prendre confiance dans le train avant gigotant (les pros parlent d'un train avant vif, pour ceux qui voudraient briller en société). Je la conduis à la cool, avec le cul et les pieds comme un bon vieux trail à la grand papa, tout au couple à l'enroulé et le Kanard, lui était toujours vivant (et moi pas tout à fait mort).

Bon va falloir arrêter les ronds de jambes et passer à une technique un peu plus brutale, genre couteau entre les dents, freinages saignants et gaz à tout les étages. Moi quand on m'en fait trop, je correctionne plus, je ventile, je disperse....

Donc pour la descente, on charge l'avant, on appuie comme un boeuf sur le guidon et les reposes pieds et on soude la poignée. Tout au dessus de 5000, comme ça il fera pas chier avec ses cognements, le Gromono.

Ah oui, ça te plaît ça! c'est comme ça que c'est bon...

Putain un retraité qu'avance pas dans mon pif-paf de référence, celui ou y'a une belle compression. Si ça passe plein fer, sans sortir de la traj, le châssis gagne de sérieux points pour pouvoir venir jouer la finale. Le TDR a gagné ses galons ici, l'Africa n'a pas démérité et le
Multipla m'a totalement épatée.

http://natsu.free.fr/img/compression.jpg

Un extérieur et je finis ma descente. Ok, donc c'est ça le Kanard; soit on est gentil et il fait ce qu'il veut et se montre assez rétif, soit on fait le gros méchant et là il commence à envisager d'obéir. Pour la peine, je me refais une montée. Effectivement, faut rouler le couteau entre les dents pour voir vraiment le véritable visage du 690, une machine au moteur fabuleux, avec un excellent châssis (un poil trop raide à mon goût, il est légèrement sorti de la traj), des freins dantesques. Bref une moto exigeante qui ne s'apprivoise pas en 5 minutes.

Et si on fait le grossier et on cause gros sous ? Pour 8300 €, t'as les os qui te restent en travers de la gorge, l'est clairement pas donné le Kanard à l'orange. Mais à ce prix, t'as un moteur qui pousse, amorto et fourche de 48 siglées WP réglables (détente avant et arrière et précontrainte à l'arrière), un tableau de bord digne d'un Airbus avec mille et une fonctions, une pince Brembo 4 pistons radial et le droit de passer à la caisse tout les 5 000 pour la révision...

Certes, mais ai je enfin touché le Graal ?
La supermoto à tout ce dont je pourrais rêver, mais... Mais c'est une garce, une maîtresse exigeante, difficile à vivre ! Sur le mouillé, le 4 piston n'aura t'il pas tôt fait de m'envoyer un billet pour par terre ?
Les gaz hyper réactif, de vouloir faire passer l'arrière devant et vice-versa sans mon autorisation expresse ? Dans les épingles arriverais je à dompter le gromono rebelle et à passer autrement qu'au ralenti ?

La Supermoto n'est pas une moto facile, elle est exclusive, fatigante et pas donnée aussi (j'ai des gènes auvergnat), il faut la contraindre pour qu'elle se révèle et elle pardonne peu. Le dressage de Kanard demande de la patience, et du temps.

Pour l'instant pas de coup de coeur pour cette moto, qui a assurément un très gros potentiel. Elle pourrait bien finir en finale, pour ses nombreuses qualités, sauf si une aguicheuse, facile et performante lui souffle la place. A voir.

V
--
Jean Louis Mas


Ajouter une rubrique